UNE SOIRÉE AVEC TAISTO HEINONEN Grand Maître et grand-père du rallye au Canada

UNE SOIRÉE AVEC TAISTO HEINONEN

12/31/2018

Propos recueillis par Leanne Junnila, photos offertes par Taisto Heinonen et Leanne Junnila.

Quiconque connaît Taisto et son accent finnois caractéristique comprendront que j’ai corrigé un peu la grammaire et paraphrasé quelques passages dans cet article, autrement toutes les anecdotes racontées sont les siennes et ont été recueillies durant une soirée de bouffe, de liqueur finnoise et d’un traditionnel sauna dans sa très scandinave demeure dans les bois de Colombie Britannique.

 
 

Racontez-moi vos débuts comme pilote en Finlande.

Je connais bien le Nord. Je me promenais sur tous les chemins de l’arrière-pays depuis que j’avais reçu mon permis de conduire. Un jour, comme ça, j’ai vu quelque chose. Il y avait un groupe de voitures au bord d’un lac gelé. Ils étaient en train de s’organiser une course sur glace. J’ai changé de direction et j’ai été voir. Des amis que je connaissais étaient là et ont essayé de me faire participer : « Il faut que tu pilotes, Taisto! » a dit l’un d’eux. « Pas avec ces pneus de rue », j’ai dit. « Si on te trouve des pneus à crampons, vas-tu y aller? » a demandé un autre. Ma Volvo 122 était parfaite pour ça : propulsion, manuelle et indestructible. Je la conduisais partout pour le travail et, aujourd’hui, j’allais faire la course avec. Je n’étais pas le seul à aligner une Volvo 122 ce jour-là, alors mes amis ont négocié avec un autre pilote et ils ont installé un jeu de pneus à crampons sur ma voiture et on est parti vers la ligne de départ. Je ne me rappelle pas combien il y avait de voitures ce jour-là, ou contre qui je courais. Tout ce que je voyais, c’était le drapeau de départ. Le drapeau est tombé et on est parti. J’ai roulé aussi vite que j’ai pu. Finalement, vers la moitié du premier tour, j’ai regardé de chaque côté et il n’y avait personne autour de moi. J’ai pensé que j’avais fait un faux départ et que tous les autres étaient déjà retournés à la ligne de départ, mais j’ai quand même voulu finir ce tour. J’ai ralenti en approchant de la ligne d’arrivée, un peu gêné d’avoir causé le faux départ, puis j’ai entendu la foule qui criait « Go! go! go! », alors j’ai remis ça dans le tapis et j’ai fini le tour. J’avais gagné. Avec une grande avance. Ce jour-là, j’ai su que je pouvais piloter.

 

Vous avez dit que vous alliez travailler avec votre Volvo. Que faisiez-vous ?

J’étais représentant pour Philips, la compagnie d’éclairage. J’adorais conduire, alors c’était le job rêvé pour moi. La conduite hivernale exige une sorte de précision délicate qui semble rendre tous les autres types de conduite facile, et dans le nord de la Finlande il y a beaucoup d’hiver. C’était parfait pour pratiquer. Mon territoire couvrait le nord de la Finlande : Oulu, Kuusamo, Rovaniemi, Kemi, et au volant de ma Volvo, j’avais toute la confiance du monde.

Puis, quatre mois avant mes 20 ans, j’ai fait ce que font tous les jeunes hommes de Finlande : mon service militaire. Au bureau d’inscription, je leur ai dit que je voulais être chauffeur. Après une évaluation et une formation de base, j’ai eu ce que je voulais, je suis devenu chauffeur… de tout : ambulance, Unimog puis après un moment, on m’a assigné à une Chevy 1956 et je suis devenu chauffeur pour haut-gradés finnois et suédois. J’allais les chercher à l’aéroport, et je les emmenais au terrain de pratique. On échangeait la Chevy pour un quatre roues motrices et je les pilotais sur le terrain de pratique du quatre roues motrices.

 

Qu’est-il arrivé après le service militaire ?

Après un an de service militaire, je ne pensais toujours qu’à piloter. J’ai participé à d’autres courses sur glace et j’ai fini par construire une vraie voiture de rallye. J’avais 24 ans quand je me suis inscrit à mon premier rallye de performance avec une Volvo 544. J’ai toujours construit mes voitures de rallye, sauf une que j’avais acheté de Harman Hajiyt, une compagnie finnoise qui avait construit sept voitures identiques : des Sunbeam Imp 850cc.Ils inscrivaient les voitures dans un championnat particulier. Il y avait un jeune Marku Allen qui pilotait dans cette classe aussi. Éventuellement, je suis déménagé au Canada pour me rapprocher de la famille qui était venue s’installer ici. Et juste comme je m’apprêtais à quitter la Finlande, l’écurie Harman Hajiyt m’a offert un volant commandité dans une nouvelle classe Sunbeam 1000cc, que j’ai décliné. Évidemment, en arrivant au Canada, j’ai repris le rallye et j’ai entrepris ma carrière canadienne en montant d’abord une Ford Anglia, puis une Renault R8 Gordini.

 

Vous avez toujours monté vos propres voitures de rallye. Où avez-vous appris la mécanique ?

Les voitures m’ont toujours intéressé, alors quand j’ai eu 16 ans je me suis inscrit à des cours pour devenir mécanicien. C’était un programme gouvernemental et à l’obtention de votre diplôme, vous deveniez mécanicien officiel et vous aviez aussi une licence de chauffeur commercial.

On vous connaît surtout comme pilote Toyota. Quand êtes-vous passé à Toyota ?

J’ai été pilote dans leur écurie d’usine pendant six ans, de 1977 à 1982. Puis en 1982, Toyota a changé de président et ils ont annulé le programme de rallye pour 1983.

 
 

Comment c’était d’être pilote d’usine pour Toyota ?

C’était un rêve devenu réalité. J’avais un atelier à cette époque et je pouvais embaucher des mécaniciens pour m’aider à construire les meilleures voitures, puis je les pilotais et j’avais de bons résultats. Je crois qu’on a terminé 80 % des rallyes auxquels on s’est inscrit, et on en a gagné 60 %. Le président de Toyota Canada à cette époque était m. Yuki Togo et il était le meilleur commanditaire qu’un pilote puisse vouloir. Il m’a emmené au golf, à la pêche, puis au Japon pour rencontrer les dirigeants à l’usine japonaise de Toyota. Nous avions une très belle relation.

Pendant ces six ans, nous avons eu une nouvelle voiture de rallye chaque année, sauf en 1981. À ce moment, l’équipe WRC Toyota était basée à Bruxelles, en Belgique. Alors au début de chaque saison, j’allais à Bruxelles voir les nouvelles composantes qui avaient été développées pour la voiture de cette année-là et je passais une commande de ce dont j’allais avoir besoin pour la saison.

 
 

Y avait-il un avantage à monter vos propres voitures, quand vous étiez pilote d’usine et que vous auriez pu payer quelqu’un d’autre pour le faire ?

Bien sûr que c’est un avantage, parce que vous savez exactement comment les pièces sont assemblées et vous comprenez où sont les points forts et les points faibles et ce que la voiture peut prendre. Vous pouvez être un très bon pilote et ne pas connaître la mécanique de la voiture et lui infliger plus que ce qu’elle peut endurer. La construction d’une voiture de rallye à un haut niveau est plutôt rare de nos jours. Ils sont quelques pilotes modernes dans le WRC à être des experts mécaniciens, comme Jari-Matti Latvala et Mikko Hirvonen, il y a quelques années, mais les rallyes sont plus courts aujourd’hui. Ils étaient beaucoup plus longs dans le temps, et l’endurance était un véritable défi, alors c’était encore plus avantageux de savoir construire une voiture. Je pense à Timo Makinen, Ove Andersson, Bjorn Anderson, John Buffum, Bo Skowronnek, Tim Bendle, ils étaient tous des constructeurs.

 

Parlez-moi du Big White Winter Rally.

J’ai une Toyota Corolla AE86 que j’ai monté au cours des dernières années qui ressemble beaucoup aux voitures d’usine Toyota que j’avais l’habitude de piloter. Eric Grochowski l’a pilotée au Big White Rally en décembre, avec un de mes anciens copilotes, Martin Headland. Eric est un multiple champion national 2RM au Canada (et il est finnois du côté de sa mère), alors c’était amusant de voir un pilote finnois moderne (et un constructeur de voiture de rallye) dans une voiture de rallye d’époque, avoir du succès ensemble et de terminer deuxième en 2RM.

Allez-vous encore piloter une voiture de rallye ?

Non, je suis trop vieux maintenant. J’aurai 80 ans dans deux ans. Je ne sais pas. Qui est la plus vieille personne à avoir piloté une voiture de rallye ? Peut-être que je pourrais en faire un dernier pour mes 80 ans et établir un nouveau record. Mais seulement si vous (Leanne) êtes mon copilote !

 
 

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